jeudi 1 novembre 2012

Finir en prison !

Dernière surprise et pas des moindres : aujourd’hui jeudi 1er novembre 2012, fin de mon séjour au Mexique et veille de mon départ pour la France, j’entre au « centre de réadaptation sociale ». 


Qu’est-ce que j’ai fait comme bêtise ? Rien, mais je n’en mène pas large. Je suis environné de gardiens qui me lancent des regards appuyés et, au lieu de la jouer fine, je fais sonner tous les portiques de sécurité sous lesquels je passe. Je m’attends à ce que les gardiens me sautent dessus en vociférant pour me retirer passeport, téléphone portable et appareil photo. Après, Dieu sait ce qu’il adviendra de moi. Un gardien me toise, je déglutis et prends un air détaché, mais dans cet environnement carcéral, j’ai la désagréable impression que je vais y passer, sans que je sache très bien la tête de la casserole qu’on me réserve. Je m’attends à tout. Au secours, je suis enfermé au centre de réadaptation, qu’on appelle l’ambassade de France ! J’en suis là de mes stupides angoisses (bon, j’exagère un peu…) lorsque je vois passer devant moi une bimbo aux airbags surdimensionnés. Elle passe tout près, je pourrais presque toucher mais je m’abstiens, je flaire le piège. « C’est un homme » susurre mon voisin. Là-dessus s’engage une conversation entre plusieurs des personnes qui m’entourent pour savoir si la bimbo est un homme ou une femme. Personnellement je n’en sais rien mais la conversation a le don de me réveiller. Où suis-je ? A la prison de Mérida. J’ai accompagné Conchi à cette journée « portes ouvertes » (si je puis dire…), au cours de laquelle les détenus vont fêter Hanal Pixan, en présence de leur famille. Ah, je retrouve mes esprits et je suis conscient de la chance que j’ai de pouvoir assister à cette « fête des morts » dans cet endroit si particulier.


Hanal Pixan, la « fête des morts », en yucathèque.
Depuis hier, la fête bat son plein dans la ville de Mérida. Je me suis levé tôt mercredi pour me rendre sur la place centrale de la ville, où c’est déjà l’effervescence. Chaque région du Yucatan installe sur le Zocalo son autel des morts, dans une version encore plus élaborée que ce que j’avais vu à l’Ermita Santa isabel. 


Ici, ce sont carrément de petites maisons traditionnelles qui sont reproduites, avec toits de palmes, petits enclos pour les animaux (des chèvres, des coqs, des poules…) et foyer autour duquel on se réunit pour cuisiner et déguster les plats traditionnels, les tortillas faites à la main et le fameux « pib tamal », mélange de poulet et de maïs qu’on cuit à l’étouffée, sous des feuilles de bananier. Un délice.


Le Zocalo est devenu un vrai village, c’est fou. Les familles s’installent et honorent leurs morts, c’est aussi à qui présentera l’autel le plus original et le plus beau. 

L’ambiance est sans doute un peu moins authentique qu’à l’Ermita santa Isabel mais la fête a des allures de foire du Moyen-âge. On joue de la musique, on mange, on fait du théâtre, et même si les touristes sont nombreux, on sent toujours ce côté bon enfant et populaire.


Je croise une compagnie française, qui est présente à Mérida depuis quelque temps et qui elle aussi a installé son autel. La compagnie Nina Tchylewska, dirigée par Audrey de Baere, joue en ce moment dans la ville Le secteur tertiaire, de Déa Loher. Je n’ai pas vu le spectacle mais ces jeunes Français sont ravis d’être là, interloqués comme je le suis par cette fête incroyable.


18h30. J’ai rendez-vous avec Conchi et Anaii pour le « défilé des âmes ». Les préparatifs vont bon train et beaucoup de jeunes sont de la partie. Ils se costument, se maquillent, leur enthousiasme fait plaisir à voir. Le défilé se met en place, des âmes « en peine », de noir vêtues, donnent le signal du départ en poussant des hurlements. Elles passeront leur temps à descendre et remonter le défilé en hurlant.



Suivent des familles éplorées, jouées là encore par des adolescents, qui miment un enterrement. Ces familles sont elles-mêmes suivies par des âmes vêtues de blanc, puis vient la mort, sous les traits de la « Catrina », le personnage traditionnel, chapeautée. Des calèches ferment la marche, dans lesquelles ont pris place d’autres Catrinas. L’ensemble est surprenant, déroutant, extrêmement festif. Le défilé gagne la place de la Cathédrale où l’attend une foule importante. Une représentation théâtrale débute, au pied même de la cathédrale. La sono est mal réglée, ça crache un maximum, mais tout le monde s’en fout, c’est Hanal Pixan. 
Cette fête des morts mélange allègrement des traditions mayas, aztèques et catholiques. L’église a tenté d’encadrer ce qui reste avant tout une fête populaire, remise au goût du jour par les gouvernements du début du vingtième siècle, qui cherchaient une façon d’unifier les provinces du Mexique, récent pays indépendant, autour de valeurs communes.


Prolongation de la fête le lendemain, sous la forme de cette invitation inopinée à la prison de Mérida. Je suis enchanté de cette opportunité de découvrir une prison mexicaine en ce jour si particulier. On m’explique que les détenus ont préparé eux aussi des autels pour honorer les morts. 
Lorsque nous arrivons Conchi et moi devant la prison, j’observe des stands improvisés remplis de linge. Du change pour les détenus, que les familles achètent avant d’entrer dans la prison. 
A l’intérieur de la prison, dans laquelle nous rentrons si facilement en faisant sonner tous les portiques de sécurité, nous sommes accueillis par un ami de Conchi. Je comprends qu’on nous ait laissés passer. Je suis stupéfait de découvrir une cour qui ressemble à une place de village, avec ses jeux pour enfants, ses arbres. A l’ombre des arbres, il y a des vendeurs, qui vendent un peu de tout, des images pieuses, de l’artisanat, des hamacs. Les détenus sont entourés de leurs familles, femmes et enfants. Sur le terrain de foot, on a installé un podium, un orchestre joue, la bimbo passe de nouveau près de moi, j’ai l’impression qu’elle a des boutons sur la poitrine. On l’appelle près du podium, elle doit prendre la parole. Un jury est désigné pour noter les autels. Le gouverneur de la province me serre la main. Journée de fête. N’étaient les miradors qui entourent le terrain de foot, je me croirais presque en pleine ville.


Le jury parcourt les différents autels. Je suis discrètement, un peu à l’écart. Les détenus, consciencieux, accueillent les visiteurs et donnent des explications sur la disposition des offrandes etc. Devant l’un des autels, nous sommes accueillis par un détenu vêtu en femme, habillé de la robe traditionnelle. Je me demande s’il l’a revêtue pour l’occasion ou s’il est travesti, voire transexuelle. Un autre, un peu plus loin, lui aussi habillé en femme, prépare des tortillas. Tout cela a l’air si naturel. Mais je n’ose pas poser de questions, de même je prends des photos avec parcimonie, un peu intimidé par le lieu et ne sachant pas si les détenus ont le droit d’être photographiés. Décidément, cette fête des morts m’aura réservé bien des surprises.


Cette visite à la prison de Mérida marque la fin de mon séjour au Mexique.
Je suis particulièrement heureux de terminer ici ce séjour qui s’est avéré être d’une richesse inouïe.
Sur la route des Mayas, mon petit carnet ne m’a pas quitté. J’ai pris beaucoup de notes, inspiré par le thème de mon voyage et séduit par cette relation si particulière que les Mexicains entretiennent avec la mort. J’aime l’imaginaire des Mexicains, cette façon théâtrale de mettre en scène la mort pour mieux l’éloigner, pour la mettre à distance. J’ai été bouleversé par les conditions de vie des Mayas d’aujourd’hui, touchant du doigt la réalité d’une civilisation disparue, balayée par une autre, conquérante et dominatrice. J’ai frémi en apprenant que les Mayas d’hier avaient une déesse de l’auto-sacrifice, nommée Ixtab, représentée la corde au cou et en apprenant dans la foulée de la bouche même de mes interlocuteurs, qu’on faisait un lien entre une pratique ancrée dans ce territoire depuis des millénaires et le recours désespéré à la pendaison de trop nombreux jeunes Mayas d’aujourd’hui.


Je voudrais remercier tous ceux que j’ai croisés au cours de mon voyage, Humberto, Hugo, Boris, Alaciel, Véronica, Koulsy, Palmira, Conchi, Anaii, Esperanza, Fernando, Alejandro, Carolina, Anaii, Lulli, Ernesto, Alejandro, Magali, Priana, Roberto, Juan, Ariadna, Adriana, Tomas, Enrique, Adrian, Marcos, Daniela, Jose, Estefany, Jaqueline, Dulce, Mariela, Karla, Eliceo, Emilio, Sergio, Carlos… Je les ai croisés cinq minutes, trois heures ou huit jours mais ils m’ont tous accordé de leur temps et je leur en sais gré.


Salutations aux élèves de la classe de madame Daban, à Saran, qui ont suivi mes aventures.
Merci à mon éditeur, Emile Lansman, pour la mise en place du blog et l’aide apportée.
Enfin, merci infiniment à Patrice Douchet et à son équipe du Théâtre de la Tête Noire, à Saran, sans lesquels ce voyage n’aurait pas eu lieu. « Partir en écriture », quel beau projet pour un auteur !

Me resteront à jamais des visages, des moments.
Une histoire naît dans ma tête. J’écris…

mardi 30 octobre 2012

Amour, drogue et alcool : les relations familiales sont difficiles


Je prends le bus pour Izamal, village situé à une heure et demie de route de Mérida. En quittant la ville, j’espère rencontrer les habitants de la campagne. Depuis le bus, j’observe la route. Nous traversons plusieurs villages dans lesquels j’aperçois de nombreuses maisons traditionnelles, aux toits de chaume recouverts de caoutchouc, pour l’imperméabilité. Par les portes entrouvertes, je reconnais les désormais fameux hamacs. Je suis frappé par la vétusté de certaines habitations. Les jardins et les cours sont aussi des lieux de vie et encombrés du nécessaire pour le quotidien. Depuis le bus, image fugitive d’une femme qui prépare à manger, assise à l’ombre d’un arbre ; du linge sèche au soleil, des animaux errent ça et là.

Izamal est un joli village, organisé autour d’un grand couvent espagnol du XVIème, construit en lieu et place d’un temple maya, et qu’on ne peut louper, tant sa couleur jaune vif tranche sur le bleu du ciel. L’édifice est imposant, sobre dans son architecture extérieure, mais sa décoration intérieure est particulièrement chargée, celle du chœur notamment, à l’image de ce qui se faisait à l’époque.





A quelque distance de ce couvent se dresse encore une pyramide maya, elle aussi impressionnante. Cette juxtaposition du couvent et de la pyramide est très forte dans le paysage et fait tout le charme d’Izamal.

Ici je comprends plus qu’ailleurs l’imbrication des deux cultures maya et espagnole, et ses répercussions sur le Mexique contemporain. Izamal est l’exemple concret du mélange et du métissage des communautés, à l’image de ces deux monuments, qui cohabitent. Lorsque je demande à mes interlocuteurs, ces Mexicains que je ne connaissais pas il y a encore dix jours, s’ils ont des ascendants Mayas, la réponse est systématiquement « oui ». Conchi, Anaii, Fernando, Alejandro, Carolina et Anaii ont tous et toutes, à des degrés divers, un lien avec les Mayas, un grand-père ou une grand-mère qui parle encore la langue, une tante ou une grande sœur qui cuisine encore les plats traditionnels. Bien sûr, les jeunes générations s’inscrivent totalement dans le Mexique d’aujourd’hui, malgré, ma-t-on assuré de tous côtés, une certaine discrimination. Comme me l’avait dit juan de Dios, on cantonne les Mayas dans les petits boulots – travaux manuels, ménage – réservant les emplois stables et mieux rémunérés à la classe sociale plus élevée. Cette discrimination est perceptible dans l’habitat et les conditions de vie des Mayas sont difficiles. Faut-il y voir l’une des raisons du taux de suicide élevé chez les adolescents mayas ?
Je gravis les marches de la pyramide. Un groupe d’adolescents discute à l’ombre des arbres. Je m’approche, me présente, leur explique les raisons de ma présence et le thème de mon travail. Le contact passe facilement, comme avec l’ensemble des Mexicains. Je leur demande s’ils ont une idée des raisons pour lesquelles les adolescents se suicident. La réponse fuse : « Problemas en la casa. » Des problèmes à la maison ? Lesquels ? « Maltratos familiares » Me revient en mémoire la remarque de Conchi qui m’a dit, en évoquant une femme maya battue par son mari : « Les Mayas ne sont pas mieux que les autres. Ils ne sont pas différents. » Ainsi donc, la cellule familiale est violente. Les adolescents confirment, parlent de nombreux problèmes d’alcool à la maison. Je pense au spectacle « Manual de caceria », qui abordait aussi le sujet de l’alcoolisme. Et puis les adolescents enchaînent : « déceptiones amorosas ». On se suicide donc aussi par amour. On me cite le cas d’un jeune homme de 12 ans qui a mis fin à ses jours parce qu’il n’avait pas l’autorisation d’aller au cinéma avec sa petite copine.

Je demande leurs prénoms à ces jeunes-gens et la raison de leur présence ici, sur la pyramide maya, ce qui est tout sauf neutre et anodin. Jose, Adrian, Daniela, Estefany, Marcos et Enrique, me répondent qu’ils sont là « pour l’ambiance ». Le lieu est ombragé, un peu retiré, ils sont tranquilles pour discuter, fumer. « On boit de la bière » me disent-ils. Et les voilà qui exhibent un litre de bière, qui passe de main en main. Quand je leur fais remarquer qu’on vient juste d’évoquer ensemble les problèmes d’alcoolisme à la maison, ils ont un petit sourire.

Ils ont entre 16 et 17 ans, ils sont beaux, rayonnants, et je ne peux m’empêcher de penser à ces corps déformés par l’obésité, que je croise souvent dans les rues de Mérida. Le Mexique est paraît-il le pays où il y a le plus d’obèses, les Mexicains sont réputés pour être les plus gros au monde, avant même les Américains. Autre triste record. Les mots me manquent pour parler à ces adolescents de « reproduction des comportements ». Je rassemble mon vocabulaire espagnol, conscient de l’enjeu et je lance un faiblard « Ne buvez pas trop de bière ». Bof, pas terrible. Et puis j’ai l’impression de leur faire la morale. N’empêche, le contact passe plutôt bien. Je les quitte avec un sentiment mitigé, un peu triste devant tout ce qu’ils ont à affronter, mais confiant quant à leur capacité à relever le défi. Trouveront-ils à leurs côtés des adultes pour leur tendre la main ?

Sur la place principale, quatre jeunes filles pouffent en me voyant passer. Je m’arrête et engage la conversation. Karla, Dulce, Mariela et Jaqueline confirment ce que leurs camarades de la pyramide viennent tout juste de me dire : les adolescents se suicident parce que « les parents ne s’intéressent pas à eux ». Elles ajoutent « les problèmes d’amour », « la drogue » et, encore et toujours « l’alcool ». Les relations parents-enfants semblent difficiles, conflictuelles. Il n’est sans doute pas facile pour les ados de voir leurs parents se démener corps et âme pour survivre.

Dans les rues d’Izamal, je passe devant une dame assise sur le pas de sa porte, en grande discussion avec sa voisine. Je fais demi-tour, me présente et pose mes questions. Les raisons du suicide des adolescents ? « Berrinches » Je ne comprends pas le mot, lui demande de l’écrire dans mon petit carnet. Elle note consciencieusement et là encore, pointe l’alcool, la drogue, les problèmes familiaux auxquels elle ajoute « les problèmes économiques ». Dans l’encadrement de sa porte, j’aperçois un hamac et la télévision allumée. Son fils me fait une démonstration. J’ai l’autorisation pour photographier.


Deux enfants m’interpellent : « Hey, mister… ». Ils ont entre cinq et sept ans et n’ont pas froid aux yeux. Je m’arrête, tente de comprendre ce qu’ils veulent. La plus grande mène la conversation mais je ne comprends rien, ou plutôt ne comprends que trop bien. Je crois qu’elle veut de l’argent. Avec leur accord, je les prends en photo. Ils prennent la pose. Je mets la main à la poche et tends la pièce à la plus grande en lui précisant bien que c’est « pour les deux ».

En partant, j’entends le petit lui dire « Cinco-cinco ».


Dernière rencontre de la journée. A la gare routière, des garçons jouent aux cartes en attendant le bus. Nous lions connaissance. Aux causes des suicides déjà mentionnées par leurs camarades (problemas familiares, falta de comunicacion…), Sergio, Carlos, Eliceo et Emilio ajoutent la dépression et le « bullying », c'est-à-dire le harcèlement, la violence psychologique exercée par le groupe ou une partie du groupe à l’encontre d’un ou d’une adolescente.

Nous prenons le même bus. A leur descente, au village voisin, ils m’adressent un petit signe. Je note que l’un d’eux tient son ordinateur portable à la main.

La journée a été riche de rencontres. Jose, Adrian, Daniela, Estefany, Marcos, Enrique, Karla, Dulce, Mariela, Jaqueline, Sergio, Carlos, Eliceo et Emilio m’ont tous accordé un peu de leur temps. Est-ce la concentration pour comprendre mon espagnol hésitant ou la gravité du sujet qui rendait leurs regards si acérés ?


dimanche 28 octobre 2012

Une histoire de hamac…


Branle-bas de combat. Conchi et ses amis viennent me chercher ce soir (il est 23h30…) pour aller à la mer. - A la mer ? Maintenant ? Euh… oui…
Fernando, Alejandro, Esperanza et moi roulons donc vers la mer, qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres de Mérida. Conchi nous rejoint dans une autre voiture avec Anaii, Carolina et… Anaii.

Minuit, les pieds dans l’eau à Puerto Progreso, golfe du Mexique. Une première ! L’eau est évidemment délicieusement bonne. Un petit saut dans la ville voisine pour acheter à manger (il est une heure du matin, c’est le week-end et les Mexicains dînent tard !) puis retour dans cette petite maison pour le dodo. 





















Elle est mignonne cette maison, toute simple, une salle à manger, un coin cuisine, deux chambres. Peu de meubles, juste l’essentiel. Pas de lit. 
Pas de lit ? Comment va-t-on dormir ? J’espère qu’on ne va pas dormir par terre !
- Par terre, non, mais dans un hamac, dit Alejandro.

Un hamac ? Aïe aïe aïe aïe aïe, je crains le pire…
Un hamac, évidemment je connais, pour la sieste, oui. Mais un hamac, toute la nuit…
Devant mes réticences, Conchi et Alejandro se lancent dans une démonstration. Les voici qui fixent les hamacs à des crochets prévus à cet effet dans les murs (c’est donc vrai, qu’ils dorment dans des hamacs, les Mexicains) puis se jettent littéralement dedans, se balancent et virevoltent en riant à gorge déployée. De les regarder, j’ai déjà mal au cœur, mal au dos, mal partout…
Je ne vous raconte pas la nuit…
Je défie quiconque rigole, là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique de fermer l’œil, allongé dans un hamac, par une nuit de pleine lune, avec au-dessus de la tête un ventilateur qui tourne à fond les manettes et qui fait clac clac clac clac clac clac, alors que la lumière extérieure est restée allumée et qu’elle éclaire la chambre, qui n’a pas de rideaux, comme en plein jour.
Le moindre mouvement dans un hamac et vous êtes sur une coquille de noix en pleine tempête ou dans un manège à sensations, la chenille ou les montagnes russes… Dans un hamac, il y a toujours une partie du corps qui est mal placée et quand vous pensez avoir trouvé la bonne position, voilà que surgit un moustique, que vous chassez d’un grand geste de la main et… bon, question bonne position, tout est à recommencer !

Trêve de plaisanterie, j’ai dormi, un peu, et le lendemain…


Ce sable fin, ces palmiers, cette eau chaude, cette lumière… ça valait bien une nuit blanche… ou presque !

Et de retour à Mérida, le « Pollo pibil » cuisiné par Lulli… hummmmmmm…


samedi 27 octobre 2012

Uxmal, un impressionnant mélange entre profane et sacré :


Réveil à l’aube. Je marche dans les rues de Mérida endormie. 
Je prends le bus de six heures du matin pour Uxmal, ancienne cité Maya. Voyagent avec moi des travailleurs mexicains et quelques rares touristes. Il est trop tôt pour les autres touristes. Tant mieux. J’ai choisi cette heure matinale pour cette tranquillité là et pour faciliter le contact avec le lieu. Je veux découvrir dans le calme ma première ville maya. 

A l’arrivée sur le site, ce qui me frappe ce sont les chants d’oiseaux. Des chants inconnus, profondément beaux, que la forêt tropicale qui m’entoure fait résonner en écho. 
Tiens, c’est vrai, je suis en pleine forêt. Ca aussi, ça me frappe, je ne m’y attendais pas. Uxmal n’est pas si loin de Mérida, une heure et demie de bus, en comptant les arrêts… et pourtant déjà nous sommes en pleine forêt. Les oiseaux volent d’arbre en arbre, sans se montrer. Ils tournent autour de moi. Parfois je vois passer un éclair de couleur jaune, rouge, bleu… C’est magnifique. Je n’arrive pas à les prendre en photo, ils se jouent de moi.
Entrée sur le site. Nous sommes une petite dizaine de visiteurs. Je gravis quelques marches et tout à coup surgit la pyramide du devin, la porte d’entrée de la ville, époustouflante de hauteur et par sa forme ovale, unique dans le monde maya me dit le petit guide que j’ai acheté. Elle est imposante et cache tout le reste de la ville. 


Il faut tourner autour de cette pyramide pour découvrir une première cour, puis une seconde, gigantesque. Je suis sous le choc. Et totalement séduit par ces monuments, par leur conservation, leurs dimensions, la délicatesse des sculptures. Les murs sont de toute beauté et la lumière du soleil matinal fait ressortir leur décoration sophistiquée. 

On ne sait rien de la fonction et de l’usage de ces monuments. Lorsque les Espagnols sont arrivés, les villes mayas avaient déjà été abandonnées par leurs habitants. Les archéologues ont bien quelques idées et attribuent à ce quadrilatère des nonnes, comme l’ont appelé les Espagnols, une fonction à la fois civique et religieuse.

 Je poursuis mon chemin, dérange quelques iguanes qui paressent au soleil (décidément je suis vraiment sous les tropiques !) et gagne le palais du gouverneur, magnifique. 



Je monte les marches, me retourne vers l’esplanade pour juger de l’effet. Cette civilisation avait le sens du pouvoir, de la domination, du spectacle. J’imagine le côté grandiose des cérémonies dans un tel décor. Sans compter les costumes et les coiffes en plumes d’oiseaux, tout cela devait être vraiment impressionnant. 




La pyramide principale jouxte le palais. Je gravis ses marches et, à son sommet, j’admire encore une fois la délicatesse des décorations. 


Je me retourne à nouveau et contemple l’ensemble du site. Implantée en pleine forêt, cette ville a un côté magique. D’ici j’aperçois la pyramide du devin, le quadrilatère des nonnes, le palais du gouverneur. Quel site exceptionnel ! Et quel silence ! Exceptés quelques chants d’oiseaux, tout est silence, tout est vide, mort. La beauté de ce site est une beauté morte.


Conchi m’a dit : "Les gens croient que les Mayas sont à Uxmal, à Chichen Itza, à Palenque, mais il n’y a plus rien dans ces sites-là. Tout est mort. Il y a plus de Mayas à Mérida qu’à Uxmal." Je comprends ce qu’elle veut dire. Uxmal est prodigieusement beau, mais Uxmal est vide. Je continue ma visite par le très beau pigeonnier, ainsi appelé par les Espagnols, mais qui était en fait un palais ; puis par le quadrilatère du cimetière, avec ses têtes de mort gravées sur la pierre. Enfin, je termine par le jeu de pelote, jeu caractéristique des populations mésoaméricaines. Deux joueurs s’affrontaient et devaient envoyer une balle en caoutchouc dans un cercle fixé au mur. L’enjeu était important puisque tout cela se terminait par la mort d’un des joueurs, le vaincu… ou le vainqueur ( !) . "On ne sait pas précise le guide, on sait seulement que le jeu se terminait par la mort."
La mort, encore et toujours. La mort qui effraie en même temps qu’elle exerce un pouvoir de fascination.


Les Mayas semblent avoir placé la mort au-dessus de tout. Sans doute leur civilisation avait un caractère violent, que je retrouve dans le Mexique d’aujourd’hui. Mais je vois aussi, ancré dans ce territoire et chez cette population, le sens du sacré, de la vie, de la fête. 

Ce mélange des genres, profane-sacré, vie-mort, c’est peut-être une façon de vivre "plus haut". 
Arriba !

vendredi 26 octobre 2012

Honorer ses morts pour goûter au bonheur d'être vivant...



Des croix, des fleurs, des fruits, des bougies, de l’encens et des têtes de morts.
Où suis-je ? Au Mexique, pardi !

La foule qui se presse autour de moi remonte lentement cette rue des quartiers sud de Mérida. La fête des morts commence ce soir et va se dérouler en plusieurs étapes pendant quelques jours. 




Conchi, Anaii et Espéranza m’accompagnent à l’Ermita Santa Isabel où se regroupe une bonne partie de la ville. Il est dix-huit heures et une dame vêtue du costume traditionnel yucathèque me tend un prospectus sur lequel je lis "Paseo de las animas". Une procession va avoir lieu dans cette rue. 


Déjà je n’en crois pas mes yeux : les gens sont sur leur trente et un, beaucoup portent le costume traditionnel, une robe blanche rehaussée de fleurs multicolores pour les femmes et la chemise blanche et le chapeau blanc pour les hommes. Les enfants ne sont pas en reste et eux aussi portent la tenue. Le tout est très élégant et donne à cette foule beaucoup d’allure.


Mon regard est attiré par plusieurs autels, couverts d’offrandes, au centre desquels trône la croix catholique. J’aperçois des enfants qu’on fait prier devant un de ces autels et qu’on prend en photo. Ma première réaction est mitigée, je goûte peu cette ferveur religieuse. Mes réserves vont tomber d’un coup lorsque je vais comprendre la portée de l’évènement. 



Chacune des familles du quartier a installé un autel devant sa porte pour honorer ses morts. A côté de la croix, sont exposées les photos des disparus. Et autour de ces photos, c’est une profusion d’offrandes de toutes sortes : des fruits, des fleurs, des plats traditionnels, des boissons, des bougies, de l’encens... 

Il s’agit d’offrir au mort tout ce dont il peut avoir besoin dans l’au-delà. Cette façon d’honorer ses morts en exposant sur le pas de sa porte l’histoire de la famille et la relation qu’on avait avec les défunts est vraiment bouleversante. 


Par ailleurs, c’est aussi l’occasion pour chacune des familles de se réunir autour de l’autel, de poser pour les photographes. Je passe devant des familles qui semblent réunies au complet. Aucune tristesse dans les regards. Ce que je sens, c’est le bonheur des gens d’être là, vivants, et une certaine fierté, aussi, d’être ensemble, d’être unis, vieux et jeunes mélangés. Ce mélange des générations est très impressionnant et donne à cette fête son caractère populaire. Enfin, ce qui me séduit par-dessus tout, c’est qu’en se présentant ainsi dans la rue, dans l’espace public, chaque famille fait acte de vie et cette fête réussit le tour de force d’honorer les morts mais également, et peut-être plus encore, les vivants.

Tout à coup, voici que s’avance une mariée à tête de mort. Cette jeune fille, sur le visage de laquelle on a peint une tête de mort, est une "novia", une fiancée. 
L’image est saisissante. Et comme si cette novia avait donné le signal, les fantômes et les squelettes apparaissent de tous côtés. Ce sont, pour la plupart, des enfants et des adolescents, parfois de jeunes adultes. Les maquillages sont parfaits, réalisés avec beaucoup de soin. On devine le plaisir que prennent les jeunes à se grimer, à se costumer, et eux aussi sont très fiers de poser pour les photographes. Il y a de plus en plus de monde, l’ambiance est bon enfant, on joue de la musique, on vend et on achète de quoi se restaurer, avant de partager le pain et les offrandes en famille et avec les étrangers de passage.

La nuit tombe, les bougies s’allument une à une et l’atmosphère devient vraiment étrange. Je n’ai jamais vu ça. L’encens fait tourner les têtes et, avec tous ces morts qui m’entourent, je finis par me demander où je suis.
Les enfants s’amusent, courent dans les rues. On joue de la musique, ça parle fort, on mélange allègrement les vivants et les morts, le sacré et le profane, et la procession des âmes remonte lentement la rue. C’est magnifique. Ces ombres blanches, ces âmes qui s’avancent, ces têtes de morts, la lueur des bougies...

Je me souviendrai longtemps de ce "Paseo de las animas". La procession des âmes…