Où suis-je ? Au Mexique, pardi !
La foule qui se presse autour de moi
remonte lentement cette rue des quartiers sud de Mérida. La fête
des morts commence ce soir et va se dérouler en plusieurs étapes
pendant quelques jours.
Conchi, Anaii et Espéranza m’accompagnent
à l’Ermita Santa Isabel où se regroupe une bonne partie de la
ville. Il est dix-huit heures et une dame vêtue du costume
traditionnel yucathèque me tend un prospectus sur lequel je lis
"Paseo de las animas". Une procession va avoir lieu
dans cette rue.
Déjà je n’en crois pas mes yeux : les gens
sont sur leur trente et un, beaucoup portent le costume traditionnel,
une robe blanche rehaussée de fleurs multicolores pour les femmes et
la chemise blanche et le chapeau blanc pour les hommes. Les enfants
ne sont pas en reste et eux aussi portent la tenue. Le tout est très
élégant et donne à cette foule beaucoup d’allure.
Mon regard est attiré par plusieurs
autels, couverts d’offrandes, au centre desquels trône la croix
catholique. J’aperçois des enfants qu’on fait prier devant un de
ces autels et qu’on prend en photo. Ma première réaction est
mitigée, je goûte peu cette ferveur religieuse. Mes réserves vont
tomber d’un coup lorsque je vais comprendre la portée de
l’évènement.
Chacune des familles du quartier a installé un
autel devant sa porte pour honorer ses morts. A côté de la croix,
sont exposées les photos des disparus. Et autour de ces photos,
c’est une profusion d’offrandes de toutes sortes : des
fruits, des fleurs, des plats traditionnels, des boissons, des
bougies, de l’encens...
Il s’agit d’offrir au mort tout ce dont
il peut avoir besoin dans l’au-delà. Cette façon d’honorer ses
morts en exposant sur le pas de sa porte l’histoire de la famille
et la relation qu’on avait avec les défunts est vraiment
bouleversante.
Par ailleurs, c’est aussi l’occasion pour chacune
des familles de se réunir autour de l’autel, de poser pour les
photographes. Je passe devant des familles qui semblent réunies au
complet. Aucune tristesse dans les regards. Ce que je sens, c’est
le bonheur des gens d’être là, vivants, et une certaine fierté,
aussi, d’être ensemble, d’être unis, vieux et jeunes mélangés.
Ce mélange des générations est très impressionnant et donne à
cette fête son caractère populaire. Enfin, ce qui me séduit
par-dessus tout, c’est qu’en se présentant ainsi dans la rue,
dans l’espace public, chaque famille fait acte de vie et cette fête
réussit le tour de force d’honorer les morts mais également, et
peut-être plus encore, les vivants.
Tout à coup, voici que s’avance une
mariée à tête de mort. Cette jeune fille, sur le visage de
laquelle on a peint une tête de mort, est une "novia",
une fiancée.
L’image est saisissante. Et comme si cette novia
avait donné le signal, les fantômes et les squelettes apparaissent
de tous côtés. Ce sont, pour la plupart, des enfants et des
adolescents, parfois de jeunes adultes. Les maquillages sont
parfaits, réalisés avec beaucoup de soin. On devine le plaisir que
prennent les jeunes à se grimer, à se costumer, et eux aussi sont
très fiers de poser pour les photographes. Il y a de plus en plus de
monde, l’ambiance est bon enfant, on joue de la musique, on vend et
on achète de quoi se restaurer, avant de partager le pain et les
offrandes en famille et avec les étrangers de passage.
La nuit tombe, les bougies s’allument
une à une et l’atmosphère devient vraiment étrange. Je n’ai
jamais vu ça. L’encens fait tourner les têtes et, avec tous ces
morts qui m’entourent, je finis par me demander où je suis.
Les enfants s’amusent, courent dans
les rues. On joue de la musique, ça parle fort, on mélange
allègrement les vivants et les morts, le sacré et le profane, et la
procession des âmes remonte lentement la rue. C’est magnifique.
Ces ombres blanches, ces âmes qui s’avancent, ces têtes de morts,
la lueur des bougies...
Je me souviendrai longtemps de ce
"Paseo de las animas". La procession des âmes…