Humberto m’accompagne au Museo
Nacional de Antropologia. Je tiens à visiter les salles des
collections mayas, avant de me rendre dans le Yucatan.
Le musée s’organise autour d’un
vaste patio surmonté d’un toit plat qui repose sur une colonne
décentrée. L’architecture est grandiose et se mesure à
l’ensemble d’un continent. Ici, un hommage est rendu aux
populations et civilisations mésoaméricaines et le bâtiment est à
la hauteur de l’enjeu.
Le musée, gratuit le dimanche, est
pris d’assaut par les mexicains, qui viennent en famille. Femmes,
hommes, jeunes, vieux, le musée semble appartenir à ces gens qui se
pressent dans les différentes salles, les traversent au pas de
charge, comme pour ne rien manquer ou s’en mettre plein la vue.
On
photographie à tout va, le téléphone portable à bout de bras et
tant pis si celui-ci fait écran, empêchant de voir les œuvres dans
leur intégralité. Le musée est immense, il faut faire vite si on
veut tout voir. Il s’agit d’emmagasiner un maximum d’informations
et d’images dans les mémoires, celles des téléphones et celles
des crânes, garder souvenir de ces merveilles exposées là, ces
merveilles qui font partie des gens, même si c’est douloureux car
tout ça c’est du passé et ici, le passé c’est compliqué.
C’est émouvant de voir un peuple qui s’empare de son histoire et
qui tente de comprendre ses racines.
Nous décidons de nous concentrer sur
la partie maya. Dès l’entrée, c’est un choc. Sculptures,
masques, vases, vaisselle, bijoux, le raffinement de la civilisation
maya est éclatant, son système d’écriture intriguant et ses
rites impressionnants. Humberto et moi-même restons stupéfaits
devant une stèle représentant une scène de décapitation. Un
guerrier brandit une tête, tandis que le corps du vaincu git sur le
sol. J’ai pris pour un élément de costume ce qui était en fait
des flots de sang… Apparition d’une classe d’adolescents. Ils
prennent des notes, photographient. Sans doute va-t-on les
interroger, plus tard, dans la classe. Ils passent d’une vitrine à
l’autre, sans vraiment prendre le temps de regarder. Que vont-ils
retenir de leur passage express devant les traces d’une
civilisation disparue ? Ils prennent la pose, se font prendre en
photo près des grandes stèles, dressées, représentant les
dignitaires des cités mayas. Peut-être certains d’entre-eux
sont-ils les descendants de ces hommes couverts de plumes et de
pierreries qui devaient être vraiment impressionnants. Raccourci de
l’espace-temps…
Quant à moi, je reste bouchée bée
devant une stèle couverte de « glyphes », ces espèces
de dessins dont on a compris tardivement qu’ils étaient une
écriture. C’est réellement magnifique. J’y sens battre le cœur
d’une civilisation.
Grande émotion également devant un
tableau de Léonora Carrington, romancière et peintre d’origine
anglaise, qui fut la compagne de Max Ernst, fréquenta les
surréalistes en France, avant de s’installer à Mexico, où elle
est morte il y a peu. Le hasard a voulu que je fasse connaissance
avec cette romancière l’été dernier. J’ai lu deux de ses
œuvres, avant d’apprendre, stupéfait, qu’elle avait peint un
tableau sur la civilisation maya et qu’il était exposé au Musée
d’anthropologie de Mexico. Humberto et moi-même avons passé un
certain temps à sa recherche. Et quand enfin nous l’avons trouvé,
je suis resté coi devant cet admirable El mundo magico de
los Mayas. Peinture d’une finesse absolue, à l’imaginaire
débridé, prenant à bras le corps l’histoire des Mayas : la
splendeur d’une civilisation qui rayonne entre le ciel et la terre,
puis son déclin brutal, sa chute dans "l’infra-monde" peuplé de créatures étranges. Je ne peux m’empêcher de penser
qu’en peignant le monde des Mayas, Léonora Carrington s’adresse
aussi aux mexicains d’aujourd’hui : le métissage est une
richesse qui seul peut éviter le déclin des civilisations…
Et pour finir la chronique du jour,
ceci : je suis à l’intérieur du musée. Devant moi, une
large baie vitrée au centre de laquelle une porte mène aux jardins.
Au-dessus de la porte est inscrit le mot Maya. Je le lis par
transparence, et à l’envers, car il est destiné aux visiteurs qui
viennent du jardin et entrent dans les salles mayas. Ayam. Maya à
l’envers. Je répète le mot plusieurs fois. Ayam. Je goûte le jeu
de mot avec I am. Ayam. Je crois avoir trouvé le nom d’un de mes
personnages. Je suis en voyage d’écriture. Les sens et
l’imaginaire en éveil. Je ne sais pas encore ce que je vais écrire
mais c’est là, quelque part. Ayam…
Demain, départ pour Mérida. Destination Mayas.