Dernière surprise et pas des moindres : aujourd’hui jeudi 1er novembre 2012, fin de mon séjour au Mexique
et veille de mon départ pour la France, j’entre au « centre
de réadaptation sociale ».
Suivent des familles éplorées, jouées là encore par des adolescents, qui miment un enterrement. Ces familles sont elles-mêmes suivies par des âmes vêtues de blanc, puis vient la mort, sous les traits de la « Catrina », le personnage traditionnel, chapeautée. Des calèches ferment la marche, dans lesquelles ont pris place d’autres Catrinas. L’ensemble est surprenant, déroutant, extrêmement festif. Le défilé gagne la place de la Cathédrale où l’attend une foule importante. Une représentation théâtrale débute, au pied même de la cathédrale. La sono est mal réglée, ça crache un maximum, mais tout le monde s’en fout, c’est Hanal Pixan.
Cette fête des morts mélange allègrement des traditions mayas, aztèques et catholiques. L’église a tenté d’encadrer ce qui reste avant tout une fête populaire, remise au goût du jour par les gouvernements du début du vingtième siècle, qui cherchaient une façon d’unifier les provinces du Mexique, récent pays indépendant, autour de valeurs communes.
Prolongation de la fête le lendemain, sous la forme de cette invitation inopinée à la prison de Mérida. Je suis enchanté de cette opportunité de découvrir une prison mexicaine en ce jour si particulier. On m’explique que les détenus ont préparé eux aussi des autels pour honorer les morts.
Lorsque nous arrivons Conchi et moi devant la prison, j’observe des stands improvisés remplis de linge. Du change pour les détenus, que les familles achètent avant d’entrer dans la prison.
A l’intérieur de la prison, dans laquelle nous rentrons si facilement en faisant sonner tous les portiques de sécurité, nous sommes accueillis par un ami de Conchi. Je comprends qu’on nous ait laissés passer. Je suis stupéfait de découvrir une cour qui ressemble à une place de village, avec ses jeux pour enfants, ses arbres. A l’ombre des arbres, il y a des vendeurs, qui vendent un peu de tout, des images pieuses, de l’artisanat, des hamacs. Les détenus sont entourés de leurs familles, femmes et enfants. Sur le terrain de foot, on a installé un podium, un orchestre joue, la bimbo passe de nouveau près de moi, j’ai l’impression qu’elle a des boutons sur la poitrine. On l’appelle près du podium, elle doit prendre la parole. Un jury est désigné pour noter les autels. Le gouverneur de la province me serre la main. Journée de fête. N’étaient les miradors qui entourent le terrain de foot, je me croirais presque en pleine ville.
Le jury parcourt les différents autels. Je suis discrètement, un peu à l’écart. Les détenus, consciencieux, accueillent les visiteurs et donnent des explications sur la disposition des offrandes etc. Devant l’un des autels, nous sommes accueillis par un détenu vêtu en femme, habillé de la robe traditionnelle. Je me demande s’il l’a revêtue pour l’occasion ou s’il est travesti, voire transexuelle. Un autre, un peu plus loin, lui aussi habillé en femme, prépare des tortillas. Tout cela a l’air si naturel. Mais je n’ose pas poser de questions, de même je prends des photos avec parcimonie, un peu intimidé par le lieu et ne sachant pas si les détenus ont le droit d’être photographiés. Décidément, cette fête des morts m’aura réservé bien des surprises.
Me resteront à jamais des visages, des moments.
Qu’est-ce que j’ai fait comme
bêtise ? Rien, mais je n’en mène pas large. Je suis
environné de gardiens qui me lancent des regards appuyés et, au lieu
de la jouer fine, je fais sonner tous les portiques de sécurité
sous lesquels je passe. Je m’attends à ce que les gardiens me
sautent dessus en vociférant pour me retirer passeport, téléphone
portable et appareil photo. Après, Dieu sait ce qu’il adviendra de
moi. Un gardien me toise, je déglutis et prends un air détaché,
mais dans cet environnement carcéral, j’ai la désagréable
impression que je vais y passer, sans que je sache très bien la tête
de la casserole qu’on me réserve. Je m’attends à tout. Au
secours, je suis enfermé au centre de réadaptation, qu’on appelle
l’ambassade de France ! J’en suis là de mes stupides
angoisses (bon, j’exagère un peu…) lorsque je vois passer devant
moi une bimbo aux airbags surdimensionnés. Elle passe tout près, je
pourrais presque toucher mais je m’abstiens, je flaire le piège.
« C’est un homme » susurre mon voisin. Là-dessus
s’engage une conversation entre plusieurs des personnes qui
m’entourent pour savoir si la bimbo est un homme ou une femme.
Personnellement je n’en sais rien mais la conversation a le don de
me réveiller. Où suis-je ? A la prison de Mérida. J’ai
accompagné Conchi à cette journée « portes ouvertes »
(si je puis dire…), au cours de laquelle les détenus vont fêter
Hanal Pixan, en présence de leur famille. Ah, je retrouve mes
esprits et je suis conscient de la chance que j’ai de pouvoir
assister à cette « fête des morts » dans cet endroit si
particulier.
Hanal Pixan, la « fête des
morts », en yucathèque.
Depuis hier, la fête bat son plein
dans la ville de Mérida. Je me suis levé tôt mercredi pour me
rendre sur la place centrale de la ville, où c’est déjà
l’effervescence. Chaque région du Yucatan installe sur le Zocalo
son autel des morts, dans une version encore plus élaborée que ce
que j’avais vu à l’Ermita Santa isabel.
Ici, ce sont carrément
de petites maisons traditionnelles qui sont reproduites, avec toits
de palmes, petits enclos pour les animaux (des chèvres, des coqs,
des poules…) et foyer autour duquel on se réunit pour cuisiner et
déguster les plats traditionnels, les tortillas faites à la main et
le fameux « pib tamal », mélange de poulet et de maïs
qu’on cuit à l’étouffée, sous des feuilles de bananier. Un
délice.
Le Zocalo est devenu un vrai village, c’est fou. Les
familles s’installent et honorent leurs morts, c’est aussi à qui
présentera l’autel le plus original et le plus beau.
L’ambiance
est sans doute un peu moins authentique qu’à l’Ermita santa
Isabel mais la fête a des allures de foire du Moyen-âge. On joue de
la musique, on mange, on fait du théâtre, et même si les touristes
sont nombreux, on sent toujours ce côté bon enfant et populaire.
Je croise une compagnie française, qui
est présente à Mérida depuis quelque temps et qui elle aussi a
installé son autel. La compagnie Nina Tchylewska, dirigée par
Audrey de Baere, joue en ce moment dans la ville Le secteur
tertiaire, de Déa Loher. Je n’ai pas vu le spectacle mais ces
jeunes Français sont ravis d’être là, interloqués comme je le
suis par cette fête incroyable.
18h30. J’ai rendez-vous avec Conchi
et Anaii pour le « défilé des âmes ». Les préparatifs
vont bon train et beaucoup de jeunes sont de la partie. Ils se
costument, se maquillent, leur enthousiasme fait plaisir à voir. Le
défilé se met en place, des âmes « en peine », de noir
vêtues, donnent le signal du départ en poussant des hurlements.
Elles passeront leur temps à descendre et remonter le défilé en
hurlant.
Suivent des familles éplorées, jouées là encore par des adolescents, qui miment un enterrement. Ces familles sont elles-mêmes suivies par des âmes vêtues de blanc, puis vient la mort, sous les traits de la « Catrina », le personnage traditionnel, chapeautée. Des calèches ferment la marche, dans lesquelles ont pris place d’autres Catrinas. L’ensemble est surprenant, déroutant, extrêmement festif. Le défilé gagne la place de la Cathédrale où l’attend une foule importante. Une représentation théâtrale débute, au pied même de la cathédrale. La sono est mal réglée, ça crache un maximum, mais tout le monde s’en fout, c’est Hanal Pixan.
Cette fête des morts mélange allègrement des traditions mayas, aztèques et catholiques. L’église a tenté d’encadrer ce qui reste avant tout une fête populaire, remise au goût du jour par les gouvernements du début du vingtième siècle, qui cherchaient une façon d’unifier les provinces du Mexique, récent pays indépendant, autour de valeurs communes.
Prolongation de la fête le lendemain, sous la forme de cette invitation inopinée à la prison de Mérida. Je suis enchanté de cette opportunité de découvrir une prison mexicaine en ce jour si particulier. On m’explique que les détenus ont préparé eux aussi des autels pour honorer les morts.
Lorsque nous arrivons Conchi et moi devant la prison, j’observe des stands improvisés remplis de linge. Du change pour les détenus, que les familles achètent avant d’entrer dans la prison.
A l’intérieur de la prison, dans laquelle nous rentrons si facilement en faisant sonner tous les portiques de sécurité, nous sommes accueillis par un ami de Conchi. Je comprends qu’on nous ait laissés passer. Je suis stupéfait de découvrir une cour qui ressemble à une place de village, avec ses jeux pour enfants, ses arbres. A l’ombre des arbres, il y a des vendeurs, qui vendent un peu de tout, des images pieuses, de l’artisanat, des hamacs. Les détenus sont entourés de leurs familles, femmes et enfants. Sur le terrain de foot, on a installé un podium, un orchestre joue, la bimbo passe de nouveau près de moi, j’ai l’impression qu’elle a des boutons sur la poitrine. On l’appelle près du podium, elle doit prendre la parole. Un jury est désigné pour noter les autels. Le gouverneur de la province me serre la main. Journée de fête. N’étaient les miradors qui entourent le terrain de foot, je me croirais presque en pleine ville.
Le jury parcourt les différents autels. Je suis discrètement, un peu à l’écart. Les détenus, consciencieux, accueillent les visiteurs et donnent des explications sur la disposition des offrandes etc. Devant l’un des autels, nous sommes accueillis par un détenu vêtu en femme, habillé de la robe traditionnelle. Je me demande s’il l’a revêtue pour l’occasion ou s’il est travesti, voire transexuelle. Un autre, un peu plus loin, lui aussi habillé en femme, prépare des tortillas. Tout cela a l’air si naturel. Mais je n’ose pas poser de questions, de même je prends des photos avec parcimonie, un peu intimidé par le lieu et ne sachant pas si les détenus ont le droit d’être photographiés. Décidément, cette fête des morts m’aura réservé bien des surprises.
Cette visite à la prison de Mérida
marque la fin de mon séjour au Mexique.
Je suis particulièrement heureux de
terminer ici ce séjour qui s’est avéré être d’une richesse
inouïe.
Sur la route des Mayas, mon petit
carnet ne m’a pas quitté. J’ai pris beaucoup de notes, inspiré
par le thème de mon voyage et séduit par cette relation si
particulière que les Mexicains entretiennent avec la mort. J’aime
l’imaginaire des Mexicains, cette façon théâtrale de mettre en
scène la mort pour mieux l’éloigner, pour la mettre à distance.
J’ai été bouleversé par les conditions de vie des Mayas
d’aujourd’hui, touchant du doigt la réalité d’une
civilisation disparue, balayée par une autre, conquérante et
dominatrice. J’ai frémi en apprenant que les Mayas d’hier
avaient une déesse de l’auto-sacrifice, nommée Ixtab,
représentée la corde au cou et en apprenant dans la foulée de la
bouche même de mes interlocuteurs, qu’on faisait un lien entre une
pratique ancrée dans ce territoire depuis des millénaires et le
recours désespéré à la pendaison de trop nombreux jeunes Mayas
d’aujourd’hui.
Je voudrais remercier tous ceux que
j’ai croisés au cours de mon voyage, Humberto, Hugo, Boris,
Alaciel, Véronica, Koulsy, Palmira, Conchi, Anaii, Esperanza,
Fernando, Alejandro, Carolina, Anaii, Lulli, Ernesto, Alejandro,
Magali, Priana, Roberto, Juan, Ariadna, Adriana, Tomas, Enrique,
Adrian, Marcos, Daniela, Jose, Estefany, Jaqueline, Dulce, Mariela,
Karla, Eliceo, Emilio, Sergio, Carlos… Je les ai croisés cinq
minutes, trois heures ou huit jours mais ils m’ont tous accordé de
leur temps et je leur en sais gré.
Salutations aux élèves de la classe
de madame Daban, à Saran, qui ont suivi mes aventures.
Merci à mon éditeur, Emile Lansman, pour la mise en place du blog et l’aide apportée.
Merci à mon éditeur, Emile Lansman, pour la mise en place du blog et l’aide apportée.
Enfin, merci infiniment à Patrice
Douchet et à son équipe du Théâtre de la Tête Noire, à Saran,
sans lesquels ce voyage n’aurait pas eu lieu. « Partir
en écriture », quel beau projet pour un auteur !
Me resteront à jamais des visages, des moments.
Une histoire naît dans ma tête. J’écris…